Château-Chalon 39210. Un vignoble petit par la taille, mais grand par la renommée.

TOUTE UNE HISTOIRE...AVEC SES ENCHANTEMENTS ET SES MALHEURS.

   

Château-Chalon 1976,
 avec une petite pensée pour Maxime Bury

       La France et le vin...une grande histoire d'amour. Tout commence avec l'installation des Phocéens, habitants de Phocée, ancienne cité grecque d'Asie Mineure sur la mer Egée, qui plantèrent de la vigne autour de Massalia (aujourd'hui Marseille) vers 600 avant Jésus-Christ, vigne déjà présente à cette époque, en Égypte, au Proche-Orient et dans la région du Caucase.
         Par la suite les Romains développèrent cette culture au rythme de leurs conquêtes jusqu'au Rhin et à l'actuelle Belgique après les victoires de Jules César vers 50 avant J.-C.
         Le 2 septembre 31 avant J.-C.,en pleine guerre civile romaine qui suit l'assassinat de Jules César, Octave qui deviendra l'empereur Auguste remporte la bataille d'Actium au sud de l'île de Corfou, mettant aux prises ses forces d'une part et celles de Marc-Antoine et Cléopâtre de l'autre. L'empire romain désormais entoure la Méditerranée, Égypte comprise, favorisant ainsi les échanges de marchandises, dont le vin, dans un espace unifié, pacifié, bénéficiant de belles voies de communications, principalement fluviales et maritimes.

Vignes mi-novembre, avant la taille.

Le vignoble en hibernation, début février.

Vignoble en  terrasses sous le village, à la fin de l'hiver après la taille.

Début mars, la vie va reprendre...

Découverte de Château-Chalon depuis l'entrée de Voiteur,
 en venant de Lons-le-Saunier, mi-août.

Château-Chalon et son vignoble, au premier plan Domaine Courbet, mi-août.

         L'empereur Domitien, sous la pression des viticulteurs italiens victimes des importations massives dues au succès de ces nouveaux vignobles, ordonna l'arrachage de près de la moitié du vignoble gaulois, ceci en 92 après J.-C.

         La vigne, c'est une certitude, couvre donc depuis fort longtemps, une bonne partie des coteaux de la région de Voiteur, Château-Chalon et les vins produits sont très appréciés des Romains à en croire les écrits de Pline le Jeune (né en 61 ou 62, mort entre 111 et 113), sénateur, avocat, gouverneur impérial, resté célèbre pour sa correspondance et de Martial (né en 40 et mort en 104), poète romain originaire d'Hispanie. Il sont tellement prisés, qu'en l'an 280, l'empereur Valerius Probus (né en 232, mort en 282), par un édit, ordonna même de planter plus de vigne sur les coteaux favorables de Séquanie, ancienne Franche-Comté, ce qui relança la viticulture dans la région.
         Autre facteur de développement du marché du vin, l'arrivée à compter du IIème siècle, du tonneau, inventé par les Celtes, pouvant être roulé, et qui, facilement transportable à dos d'animal, va progressivement remplacer l'amphore, lourde et fragile.

Le vignoble de Château-Chalon au pied de la falaise, mi-novembre

         S'étendant sur les terres de l’Église à l'époque féodale, la culture de la vigne allait désormais faire partie des traditions et spécialités françaises. L'histoire du vignoble et du vin de Château-Chalon, appelé autrefois vin de garde ou vin de gelée (les vendanges, avant l'amélioration variétale étaient pratiquées aux alentours de la Toussaint, souvent après les premières gelées), n'échappera pas à ce phénomène, et sera indissociable de celle de l'abbaye qui aurait été fondée par Patrice Norbert et son épouse Eusabia vers 670.
         Au XIIIème siècle, l'abbaye de bénédictines se sécularise, devient un chapitre de chanoinesses, le Chapitre Notre-Dame de Château-Chalon, qui n'acceptait plus que des dames pouvant faire état d'au moins seize quartiers de noblesse. Aussi certaines grandes familles de la région n'hésitent pas a y envoyer généralement leur fille cadette qu'elles ont renoncé à marier et à doter.

         La vie à l'abbaye bien que régie par la règle bénédictine, n'a rien de strict, les jeunes chanoinesses recevant des plus anciennes une éducation aristocratique, toutes vivant dans des demeures individuelles, avec leur domesticité et menant une vie plus sociale que religieuse. Chaque chanoinesse conserve la jouissance de ses biens propres et de ses rentes, et reçoit une prébende de la communauté. L'abbaye devient un centre d’intérêt et un bonne renommée de Château-Chalon se forge, le bourg se développe. Les abbesses, ayant fait de la culture du Savagnin et de l'élaboration du vin jaune, leurs spécialités, le fait qu'elles soient issues d'anciennes familles aristocratiques, explique en partie, le rayonnement qu'eût le vin de Château-Chalon dans les familles nobles et dans les cours de toute l'Europe. Il fut ainsi très apprécié par Louis XI (1423-1483) qui le trouva divin, et d'Henri IV, ce qui n'empêchât pas celui-ci, alors en guerre contre l'Espagne, d'envoyer ses troupes mettre à feu et à sang la ville et détruire le château, en 1595.

Château-Chalon et une partie de son vignoble,
 vus depuis Menétru-le-Vignoble, fin août.

        Pendant la Guerre de Dix Ans (1634-1644), épisode Comtois de la Guerre de Trente Ans, les habitants auraient essayé d'écarter du village les belligérants, en offrant aux deux armées en présence nombre de voitures bien chargées de bon vin pour qu'elles aillent se battre ailleurs...Cela évitât peut-être d'aussi grands malheurs qu'en 1595.
       Puis une autre épreuve, sous Louis XIV, qui se terminera par le traité de Nimègue, l'Espagne cédant la Franche-Comté à la France.
        Toutes ces guerres appauvrissent considérablement l'abbaye , ruinent une partie des habitants, et provoquent un exode important. L'abbaye qui a de nombreuses vignes en friches, les loue pour des sommes dérisoires, essayant ainsi de limiter les pertes financières. Les fraudes pour payer la dîme sont de plus en plus fréquentes, les procès longs (certains plus de dix ans) et coûteux, sans grands résultats. La banqueroute de la « Banque de Lauw » en 1720, sera l'apothéose. La société change, de nouveaux habitants, modestes affluent à Château-Chalon, des terres se vendant à bas prix.

"Sous Roche" début mars.

       En 1732, un décret limitant la liste des cépages qui peuvent être utilisés marque le début d'une réglementation qualitative, ce qui fait disparaître une partie du vignoble, mais accroît la qualité et la notoriété du vin produit. Les paysans vignerons travaillent dur et deviennent alors souvent bien plus aisés que les Dames abbesses en pleine décadence, ce qui ne doit pas être sans frictions.

Maison de Charlotte-Anne-Sophie-Désirée de Stain,
 dernière abbesse de Château-Chalon.

       En 1790 les révolutionnaires détruisent l'abbaye, en 1792, les ruines sont confisquées comme bien national, les pierres vendues et le vignoble dispersé. La Révolution Française a pour effet de faire passer les vignobles des mains des nobles et de l’Église à celles de propriétaires issus du peuple.

      Les vignerons améliorent encore la qualité: au cours d’un dîner, alors que l'empereur Napoléon 1er buvant du Johannisberg servi par le Prince de Metternich, ambassadeur d'Autriche à Paris de 1806 à 1809, dit à son hôte " qu’il lui servait le premier vin du monde ", le Prince répondit : "Sire,le premier vin du monde n’est pas le Johannisberg, mais il se récolte dans un petit canton de votre empire, à Château-Chalon !".

Lumières automnales.

         L'histoire tumultueuse n'est pas terminée : après une grande partie du XIXème siècle de belle prospérité, les maladies, le mildiou , mais surtout le grand fléau du phylloxera eurent raison de ceps « centenaires » qu'il fallut arracher. Le Phylloxera, inconnu en France jusqu'en 1868, est un puceron de 1 à 2 mm, importé accidentellement d'Amérique du Nord, qui attaque les racines de la vigne et qui fait son apparition dans le Jura en 1879. Le désarroi est profond, car les ceps touchés par le puceron sont condamnés à mort. Les vignerons devront changer leurs habitudes ancestrales, accepter l'arrachage des vignes et se laisser convaincre par le principe du greffage des plants sur souches américaines préconisé par Alexis Millardet, et Victor Pulliat, seul véritable remède contre la maladie.

Parcelle de Savagnin,
 avec en face, le vignoble de Menétru-le-Vignoble, début février 2013.

La même parcelle, début juin.

Peu avant la Fête Nationale...

Toujours à la mi-juillet.

Pour le 11 novembre, avec de belles tonalités automnales...

        Puis, dans un passé plus récent, les guerres, surtout celle de 1914-1918, les hommes partant au front, et l'exode rural ont achevé de mettre bas ce vignoble de prestige qui ne doit sa survie qu'à l'obstination de ses vignerons: en 1933, création du Syndicat des producteurs de Château-Chalon, en 1936 reconnaissance de l'appellation AOC Château-Chalon . En 1956, ils acceptent la création d'une commission de contrôle qui visite chaque année les vignes, après les vendanges des cépages autres que le Savagnin, afin de vérifier que le raisin possède les qualités nécessaires à un vin jaune à la hauteur de sa réputation, et c'est ainsi que des années sont parfois complètement déclassées (1974,1980,1984,2001) ou partiellement comme 1993. Dans les années 1970, le remembrement et l'aménagement foncier ont permis de mettre en valeur ce vignoble. D'autre part les progrès de l’œnologie apportent aux vignerons les moyens de maintenir ce grand cru parmi l'élite des vins français et mondiaux: "Il faut attendre vingt ans pour le boire. Encore vaut-il mieux n'en pas boire beaucoup, car il est terrible! Ce n'est point un vin de dames. Mais quelle extase brutale et magnifique il infiltre au cœur des pauvres hommes!...", écrira Curnonsky, critique culinaire, surnommé le "prince des gastronomes" à propos du vin jaune de Château-Chalon.

         Aujourd'hui encore, les vignerons restent vigilants, une résurgence d'attaque du Phylloxéra étant toujours possible, et surtout l'épée de Damoclès qu'est la flavescence dorée, due à la Cicadelle de la vigne, qui transporte la maladie, mortelle pour les ceps. Rien n'est jamais acquis à l'Homme...

Château-Chalon et son vignoble au début du XXème siècle.

LE CÉPAGE: LE SAVAGNIN.

            Le vin jaune de Château-Chalon est élaboré uniquement à partir du Savagnin, cépage rare, le plus noble du vignoble jurassien, et récolté pour l'appellation "Château-Chalon" seulement sur certaines parties du territoire de ce village et des villages voisins de Menétru-le-Vignoble, Domblans, Névy-sur-Seille et Voiteur, à des altitudes variant entre 270 et 450 m. Il aurait la plus grande antériorité des cépages jurassiens et aurait été implanté au début du XIIIème siècle.

Vue plongeante sur le Conservatoire de la Vigne.

Entrée du Conservatoire de la Vigne.

          Botaniquement parlant, le Savagnin, cousin des Traminers alsaciens, pourrait tirer son origine de vignes sauvages, les lambrusques spontanées (qui n'ont jamais été cultivées), mais son origine reste assez floue.Il pourrait provenir d'Autriche ou de Hongrie. Lors des croisades, il aurait été envoyé par des religieuses hongroises aux abbesses de Château-Chalon, mais cela n'est qu'une hypothèse.
        Les bourgeons sont duveteux d'un vert pâle, avec les bords rosés. Les feuilles d'un vert assez foncé sont arrondies, de taille moyenne, à trois lobes avec des dents petites et arrondies. Les grappes sont courtes et petites, ses raisins sont charnus, petits et ronds avec une peau épaisse, résistante, blanche, à la chair juteuse très sucrée. Il s'accorde d'une vendange plutôt tardive, en fin de campagne, car il mûrit lentement, généralement une quinzaine de jours après les autres cépages, pouvant attendre octobre.

       Cette souche peu sensible à la pourriture, est sensible à la coulure et au millerandage, accidents survenant à la nouaison, phase initiale du fruit, l'ovaire se transformant en grain de raisin après fécondation:
         - la coulure : les fleurs mal ou non fécondées, tombent ou "coulent", entrainant parfois une diminution importante de production.
         - le millerandage est un dérèglement moins grave que la coulure; c'est un développement de baies sans pépins (apyrènes), qui restent plus petites que les autres, mais seront plus sucrées et moins acides à maturité.

Jeunes feuilles et bourgeons en éclosion de Savagnin.

Fleurs de plant de Savagnin.

Grappe de Savagin.

         Il est bien résistant aux froids de l'hiver mais est plus sensible à la forte chaleur.
         La taille du Savagnin à Château-Chalon est de type Guyot, simple ou double, du nom du Docteur Guyot, médecin et physicien, surtout connu pour ses études viticoles. Le type Guyot simple sur les pieds les plus frêles, laissant un courson et une baguette arquée et liée. Le Guyot double, sur les pieds les plus vigoureux, laissant deux coursons et deux baguettes arquées et liées.

 Baguette liée. La sève est montée, la vigne pleure,
 à raison d'une goutte toutes les deux minutes au niveau de la zone de coupe,
 alors que la taille a eu lieu il y a déjà quelques jours.

Mademoiselle Berthet-Bondet liant les baguettes sur les fils de palissage.

Utilisation de la pince à lier.

Guyot simple avec un courson et une baguette liée.

Guyot double, avec ses deux coursons et ses deux baguettes arquées et liées.

 LE TERROIR.

          Le Savagnin est exigeant quant à la nature du sol, qui demande à être très caillouteux et très sec en surface mais avec un sous-sol en profondeur avec beaucoup d'humidité. Il ne s'épanouit véritablement que sur des marnes gris-bleuté, des marnes carton appelées aussi "schistes carton" du Toarcien (fin du Lias), terme qui qualifie la roche déjà en partie altérée (complètement altérée elle se transforme en argile très plastique) dans lesquelles la vigne peut facilement enfoncer ses racines. Le sol est recouvert de cailloutis provenant des éboulis des falaises supérieures favorisant l'emmagasinement de la chaleur solaire pendant la journée, favorisant ainsi une meilleure maturation de raisin. La plupart des vignes ont une exposition sud, sud-ouest, recevant ainsi le soleil une bonne partie de la journée. Les falaises abritent des vents du nord et de l'est, la bise, souvent froids. Les vignes en coteaux sont souvent à fortes pentes, certaines atteignant 45% . C'est sur ce type de substrat qu'il prendra le mieux le jaune, c’est à dire, selon les années des arômes de pomme, de paille, de noix, voisinant avec des épices, curry, muscade...

     

Marnes gris-bleuté.

LA VINIFICATION: UNE ALCHIMIE DE L'OR JAUNE.

        Les vendanges du Savagnin, effectuées manuellement, sont tardives, effectuées deux semaines après le chardonnay, soit à la mi-octobre, afin d'obtenir une maturation complète des grappes qui sont surmûries, parfois même atteintes de pourriture noble, avec une forte concentration de sucres. Le raisin est pressé. Le rendement est alors faible, aux environs de 20 hl/hectare, etles moûts doivent avoir plus de 192g de sucre par litre.
        Le sulfitage est généralement modéré, et le débourbage par sédimentation est de courte durée, ces opérations pouvant nuire aux germes nécessaires à l'élaboration du Vin Jaune.
        La fermentation alcoolique par des levures type Saccharomyces cerevisae est pratiquée en cuves inox entre 15 et 20 degrés pendant une dizaine de jours.
        Ensuite la fermentation malolactique apparait entre la fin de l'automne et le début du printemps, transformation de l'acide malique en acide lactique, ce qui atténue l'acidité.

Cave avec cuves inox du domaine Berthet-Bondet.

        Le "vin nouveau" est ensuite soutiré et entonné en fûts de chêne de 228 litres, incomplètement remplis, ayant déjà servi, le goût du bois étant défavorable au vin jaune, entreposés dans des caves à l'atmosphère sèche, bien ventilées, ayant des écarts de température entre l'été (jusqu'à 18°C) et l' hiver (environ 8°C), les températures élevées de l'été favorisant le développement des levures qui forment alors un voile gris, puis blanchâtre, celles basses de l'hiver provoquant des réactions de diffusion dans la masse du vin. 
       Bien que les tonneaux soient fermés, il se produit une évaporation, mais l'ouillage (action de remettre du vin pour compenser l'évaporation afin d'éviter l'oxydation du vin qui deviendrait alors vinaigre) n'est pas pratiqué, le vide s'accentue, le voile s'épaissit et protège le vin des oxydations, de la piqûre acétique et participe à l'élaboration du "goût de jaune".
        Le vieillissement sous voile est de 6 ans et 3 mois au moins, pour obtenir l'un des premiers crus de France, un des meilleurs vins blancs de la planète: le Vin Jaune de Château-Chalon.

Cave de vieillissement du Château-Chalon datant du XVIème siècle,
 à voûte en plein cintre, appartenant au Domaine Berthet-Bondet.

Cave moderne fin XXème siècle, du Domaine Berthet-Bondet,
 avec fort potentiel de stockage.

         Au terme de sa maturation, le "Château-Chalon" est mis en bouteilles. Là encore il se distingue de tous les autres vins, et son écrin, comme pour tout Vin Jaune, est le Clavelin d'une contenance de 62 cl, une bouteille originale, unique, trapue, aux larges épaules. Cette bouteille unique dans la Communauté Européenne,  autorisée par le Parlement Européen, fut crée au XVIème siècle par les verriers de la Vieille-Loye. Sa contenance particulière correspond à ce qu'il reste d'un litre de vin après la maturation de six années, lorsque s'est évaporée "la part des anges".

        Le Chateau-Chalon est un vin de garde, qui pourra se conserver plus d'un siècle et doit être servi chambré à une température de 15 à 16°C, ouvert plusieurs heures à l'avance.

VIGNERONS DE CHÂTEAU-CHALON 39210

Domaine BERTHET-BONDET
rue de la Tour

Domaine CREDOZ Jean-Claude
rue des Chèvres

Domaine GUILLERET Franck
rue des Chèvres

Domaine MACLE Jean et fils
15, rue de la Roche

Domaine SALVADORI Jean-Pierre
1, rue des Chèvres

 Lien vers:
Château-Chalon, vieilles pierres d'une cité de caractère.